Julian Assange témoigne devant le Conseil de l’Europe. Il s’agit de son premier discours depuis 2019…

L’éveil 2022 – 01 octobre 2024

« Monsieur le président, membres éminents de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, mesdames et messieurs, passer d’années de confinement dans une prison de haute sécurité à me retrouver ici devant les représentants de 46 nations et 700 millions de personnes est un changement profond et surréaliste. C’est une transition que je trouve difficile à décrire. L’isolement prolongé dans une cellule étroite impose des épreuves que peu peuvent imaginer. Pourtant, il est impératif que je me tienne ici aujourd’hui pour évoquer ces moments. »

« L’expérience de l’isolement pendant des années dans une petite cellule est difficile à exprimer. Elle vous dépouille de votre identité, ne laissant que l’essence la plus brute de l’existence. C’est une lutte constante pour maintenir non seulement votre corps, mais aussi votre esprit en vie. Cette expérience, je la vis encore en moi et elle affecte chaque mot que je prononce devant vous. Cependant, cette épreuve ne doit pas rester silencieuse. »

« Je ne suis pas encore totalement en mesure de parler de ce que j’ai enduré, de la lutte incessante pour rester en vie, tant physiquement que mentalement. Les événements que j’ai vécus dépassent la simple description, notamment ceux de mes compagnons de cellule qui ont souffert, parfois mortellement. Il est de mon devoir de témoigner de ces vies perdues, bien que les mots me manquent encore pour décrire pleinement ce que nous avons traversé. »

« Je ne peux pas non plus encore parler des décès par pendaison, des meurtres, et des négligences médicales dont ont souffert mes codétenus. Ces tragédies humaines se sont multipliées autour de moi et restent gravées dans ma mémoire. Mon silence sur ce sujet n’est pas volontaire, mais bien le résultat d’un traumatisme qui demande encore du temps pour être surmonté. Pourtant, je me tiens devant vous pour honorer ces vies. »

« Je m’excuse d’avance si mes mots vacillent ou si ma présentation manque de la finesse que vous pourriez attendre d’un forum aussi distingué, l’isolement ayant laissé des séquelles. Ce n’est pas un manque de respect, mais une conséquence directe de cette épreuve. Chaque jour est un nouveau défi pour reprendre une vie normale. Aujourd’hui, je me tiens ici avec tout ce que je peux offrir, malgré les cicatrices visibles et invisibles de cette épreuve. »

« Je tente de les démêler, et m’exprimer dans ce cadre est un défi. Cependant, je ressens l’obligation morale de le faire. Le poids des questions soulevées ici, ainsi que la gravité de l’enjeu, dépassent mes propres difficultés personnelles. Il est de ma responsabilité de témoigner des événements et d’aider à prévenir de nouvelles injustices. Je vous remercie de m’écouter malgré mes faiblesses. »

Julien Assange : « J’ai parcouru un long chemin, à la fois littéralement et métaphoriquement, pour être devant vous aujourd’hui. Avant que nous ne commencions notre discussion ou que je ne réponde à vos questions, je tiens à remercier l’APCE pour sa résolution de 2020, qui a affirmé que mon emprisonnement créait un précédent dangereux pour les journalistes, et a rappelé que le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture avait appelé à ma libération. »

« Je suis également reconnaissant pour la déclaration de l’APCE en 2021, exprimant son inquiétude face à des rapports crédibles indiquant que des responsables américains avaient discuté de mon assassinat, et appelant une nouvelle fois à ma libération immédiate. Je félicite aussi la Commission des affaires juridiques et des droits de l’homme pour avoir mandaté une rapporteuse renommée, Sunna Ævarsdóttir, afin d’enquêter sur les circonstances entourant ma détention et ma condamnation, ainsi que sur leurs implications pour les droits humains. »

« Cependant, comme tant d’autres efforts faits dans mon affaire, qu’ils proviennent de parlementaires, de présidents, de premiers ministres, du Pape, de responsables de l’ONU et de diplomates, de syndicats, de professionnels du droit et de la santé, d’universitaires, d’activistes ou de citoyens, aucun d’entre eux n’aurait dû être nécessaire. Aucune des déclarations, résolutions, rapports, films, articles, événements, collectes de fonds, manifestations, et lettres des 14 dernières années n’aurait dû être nécessaire. »

« Mais tous ces efforts ont été nécessaires, car sans eux, je n’aurais jamais vu la lumière du jour… »

Julian Assange : « Je suis libre aujourd’hui après des années d’incarcération parce que j’ai plaidé coupable de journalisme.

J’ai plaidé coupable d’avoir cherché des informations auprès d’une source. J’ai plaidé coupable d’avoir obtenu des informations d’une source, et j’ai plaidé coupable d’avoir informé le public de ce qu’étaient ces informations. Je n’ai plaidé coupable de rien d’autre. »

« J’espère que mon témoignage aujourd’hui pourra mettre en lumière la faiblesse des protections existantes et aider ceux dont les cas sont moins visibles, mais tout aussi vulnérables.

Alors que je sors du cachot de Belmarsh, la vérité semble désormais moins discernable, et je regrette à quel point nous avons perdu du terrain pendant cette période. »

« Comment l’expression de la vérité a été sapée, attaquée, affaiblie et diminuée. Je vois plus d’impunité, plus de secret, plus de représailles pour avoir dit la vérité, et plus d’autocensure. Il est difficile de ne pas tracer une ligne directe entre la poursuite judiciaire du gouvernement américain à mon encontre, son franchissement du Rubicon en criminalisant internationalement le journalisme, et le climat refroidi de la liberté d’expression qui règne aujourd’hui. »

👉 C’est très clair.

Les agences américaines de renseignements, appuyées par certaines volontés gouvernementales américaines, ont criminalisé le journalisme mondial. Une manière de vouloir tuer l’accès à la Vérité.

Pour survivre, celui-ci s’est adapté selon 2 aiguillages :

  • En se vidant de sa substance, en gardant l’image du journalisme, mais en communiquant une propagande convenue.
  • En conservant sa substance, mais en la diffusant sur des blogs confidentiels, des réseaux sociaux ou des organismes non reconnus comme à caractère journalistique.

Julian Assange : « Le rapport révolutionnaire de la PACE sur les enlèvements de la CIA en Europe a révélé l’existence de centres de détention secrets et de méthodes d’enlèvement illégales opérées par la CIA sur le sol européen, ce qui constitue une violation des droits de l’homme et du droit international.

En février dernier, l’ancien agent de la CIA Joshua Schulte, qui serait à l’origine de certaines de nos révélations, a été condamné à 40 ans de prison dans des conditions d’isolement extrême. Ses fenêtres sont obscurcies, et une machine à bruit blanc fonctionne en continu au-dessus de sa porte, l’empêchant même de crier.

Ces conditions sont plus sévères que celles observées à Guantanamo Bay… »

Julian Assange : « La liberté d’expression et tout ce qui en découle se trouve à un carrefour sombre. Je crains que, à moins que des institutions comme la PACE ne prennent conscience de la gravité de la situation, il ne sera trop tard.

Engageons-nous tous à faire notre part pour veiller à ce que la lumière de la liberté ne s’éteigne jamais, que la quête de la vérité perdure et que les voix des nombreux ne soient pas réduites au silence par les intérêts de quelques-uns. »

Julian Assange : « En mars 2017, WikiLeaks avait révélé l’infiltration de la CIA dans les partis politiques français et ses activités d’espionnage sur les dirigeants français et allemands. Le directeur de la CIA, Pompeo, a lancé une campagne de représailles. Il est désormais établi publiquement qu’à la demande explicite de Pompeo, la CIA a élaboré des plans pour m’enlever et m’assassiner au sein de l’ambassade équatorienne à Londres et a autorisé des actions contre mes collègues européens, nous soumettant à des vols, des attaques informatiques et à la diffusion de fausses informations.

Ma femme et mon fils en bas âge ont également été ciblés. Un agent de la CIA a été assigné de façon permanente pour suivre ma femme, et des instructions ont été données pour obtenir de l’ADN à partir de la couche de mon fils âgé de six mois. »

« Ceci est le témoignage de plus de 30 responsables actuels et anciens du renseignement américain ayant parlé à la presse américaine, corroboré par des documents saisis lors de poursuites engagées contre certains des agents de la CIA impliqués. »

« Le ciblage de ma personne, de ma famille et de mes associés par la CIA à travers des moyens agressifs, extrajudiciaires et extraterritoriaux illustre comment des agences de renseignement puissantes peuvent exercer une répression transnationale sans accountability. Cette situation soulève des questions cruciales sur la protection des droits humains et la liberté d’expression, et démontre à quel point le pouvoir peut être utilisé pour faire taire ceux qui cherchent à informer le public. Il est impératif que ces abus de pouvoir soient dénoncés et que des mécanismes soient mis en place pour garantir que personne ne subisse de telles représailles pour avoir exercé son droit à l’information. »

Julian Assange